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Perles de poèmes. 
Mon anthologie Retrouvez ici un choix parmi les plus beaux poèmes de tous les temps

Pour faire le portrait d'un oiseau   Jacques Prévert


Peindre d'abord une cage
avec une porte ouverte
peindre ensuite
quelque chose de joli
quelque chose de simple
quelque chose de beau
quelque chose d'utile
pour l'oiseau

Placer ensuite la toile contre un arbre
dans un jardin
dans un bois
ou dans une forêt
Se cacher derrière l'arbre
sans rien dire
sans bouger...

Parfois l'oiseau arrive vite
mais il peut aussi bien mettre de longues années
avant de se décider
Ne pas se décourager
attendre
attendre s'il le faut pendant des années
la vitesse ou la lenteur de l'arrivée de l'oiseau
n'ayant aucun rapport
avec la réussite du tableau

Quand l'oiseau arrive
s'il arrive
observer le plus profond silence
attendre que l'oiseau entre dans la cage
et quand il est entré
fermer doucement la porte avec le pinceau
puis
effacer un à un les barreaux
en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l'oiseau

Faire ensuite le portrait de l'arbre
en choisissant la plus belle de ses branches
pour l'oiseau
peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent
la poussière du soleil
et le bruit des bêtes de l'herbe dans la chaleur de l'été
et puis attendre que l'oiseau se décide à chanter

Si l'oiseau ne chante pas
c'est mauvais signe
signe que le tableau est mauvais
mais s'il chante c'est bon signe
signe que vous pouvez signer

Alors vous arrachez tout doucement
une des plumes de l'oiseau
et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau.

Les yeux

Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux,
Des yeux sans nombre ont vu l'aurore ;
Ils dorment au fond des tombeaux
Et le soleil se lève encore.

Les nuits plus douces que les jours
Ont enchanté des yeux sans nombre ;
Les étoiles brillent toujours
Et les yeux se sont remplis d'ombre.

Oh ! qu'ils aient perdu le regard,
Non, non, cela n'est pas possible !
Ils se sont tournés quelque part
Vers ce qu'on nomme l'invisible ;

Et comme les astres penchants,
Nous quittent, mais au ciel demeurent,
Les prunelles ont leurs couchants,
Mais il n'est pas vrai qu'elles meurent :

Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux,
Ouverts à quelque immense aurore,
De l'autre côté des tombeaux
Les yeux qu'on ferme voient encore.


Sully Prudhomme
(premier lauréat du prix Nobel de littérature en 1901)

Pour aller au Paradis avec les ânes

Lorsqu'il faudra aller vers vous, ô mon Dieu, faites
que ce soit par un jour où la campagne en fête
poudroiera. Je désire, ainsi que je fis ici-bas,
choisir un chemin pour aller, comme il me plaira,
au Paradis, où sont en plein jour les étoiles.
Je prendrai mon bâton et sur la grande route
j'irai, et je dirai aux ânes, mes amis :
Je suis Francis Jammes et je vais au Paradis,
car il n'y a pas d'enfer au pays du Bon Dieu.
Je leur dirai : Venez, doux amis du ciel bleu,
pauvres bêtes chéries qui, d'un brusque mouvement d'oreille,
chassez les mouches plates, les loups et les abeilles...

Que je Vous apparaisse au milieu de ces bêtes
que j'aime tant, parce qu'elles baissent la tête
doucement, et s'arrêtent en joignant leurs petits pieds
d'une façon bien douce et qui me fait pitié.
J'arriverai suivi de leurs milliers d'oreilles,
suivi de ceux qui portèrent au flanc des corbeilles,
de ceux traînant des voitures de saltimbanques
ou des voitures de plumeaux et de fer-blanc,
de ceux qui ont au dos des bidons bossués,
des ânesses pleines comme des outres, aux pas cassés,
de ceux à qui l'on met de petits pantalons
à cause des plaies bleues et suintantes qui font
les mouches entêtées qui s'y groupent en rond.

Mon Dieu, faites qu'avec ces ânes je Vous vienne.
Faites que, dans la paix, des anges nous conduisent
vers des ruisseaux touffus où tremblent des cerises
lisses comme la chair qui rit des jeunes filles,
et faites que, penché dans ce séjour des âmes,
sur vos divines eaux, je sois pareil aux ânes
qui mireront leur humble et douce pauvreté
à la limpidité de l'amour éternel.

Francis Jammes (1868-1938)
Le Deuil des primevères, Paris, Mercure de France, 1901.

Avant que la porte ne se referme

Souviens-toi de celui qui t’a donné la vie
avant que ne viennent les jours du déclin
et le moment où tu diras:
«Je n'ai point de plaisir à vivre».
Alors le soleil s'assombrit,
la lune et les étoiles se ternissent,
les nuages reviennent sans cesse après la pluie.

Alors le gardien tremble de peur,
l'homme vigoureux se courbe,
les meunières cessent de moudre par manque de compagnie,
la femme renonce à paraître à sa fenêtre.

Alors la porte se referme sur la rue,
le bruit du moulin baisse,
le chant de l'oiseau s'éteint,
toutes les chansons s'évanouissent.

On a peur de gravir une pente,
on a des frayeurs en chemin,
les cheveux blanchissent comme l'aubépine en fleur,
l'agilité de la sauterelle fait défaut,
les épices perdent leur saveur.
Ainsi chacun s'en va vers sa dernière demeure.
Et dans la rue, les pleureurs rôdent en attendant.

Alors le fil d'argent de la vie se détache,
le vase d'or se brise,
la cruche à la fontaine se casse,
la poulie tombe au fond du puits.

Le corps de l'homme s'en retourne à la terre
d'où il a été tiré
et le souffle de vie s'en retourne à Dieu
qui l'a donné.

Tout n'est que fumée, dit le Sage, tout part en fumée.
                                                           La Bible, Ecclésiaste 12 1-9









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