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Prédication du dimanche du Jeûne fédéral 2018 

​Célébration oecuménique au Parc du vieux Clarens 

« En ce jour du Jeûne fédéral, il est donné à celles et ceux qui le souhaitent, de consacrer une journée à la prière et aux actions de grâce.  C’est aussi l’occasion, dans un registre différent, de ralentir et de méditer collectivement sur les évolutions de notre société contemporaine. »

Chers amis, chers frères et sœurs,

Dans son message, le Conseil d’Etat du canton de Vaud nous invite « à poursuivre l’œuvre initiée au sortir de la première guerre mondiale d’un dialogue multilatéral à tous les échelons politique, économique ou religieux », en trois mots : ...à être ouverts, courageux et actifs !
En effet l’histoire de notre monde semble s’emballer ! Et l’on peut comprendre le malaise, pour ne pas dire le vertige, ressentis par nombre de nos concitoyens devant les grands défis, environnementaux, économiques, démographiques et migratoires qui semblent impossibles à relever...
Il semble que dans nombre de pays, le désarroi se traduit par un réflexe de repli sur soi... America first dit le Président américain, mais les Suisses, qui tentent par tous les moyens de préserver le confort de leur cabine de première classe dans le navire planétaire, n’en pensent-ils pas moins ?

Aujourd’hui en effet :

La tentation est grande de se boucher les yeux et de ne pas vouloir voir que si la barque est pleine, c’est surtout celle des migrants qui coule en Méditerranée.​
La tentation est – comme dans certains pays qui ne supportent pas les mots « droits de l’homme » - d’envoyer des policiers arrêter un pasteur en plein culte pour délit de solidarité... Non ! Ce n’est pas arrivé en Corée du Nord ou en Erythrée, mais bien en Suisse, en février de cette année 2018 !!​
La tentation est là de fermer nos frontières à tout ce qui vient de l’extérieur tout en voulant les garder ouvertes pour nos exportations, y compris d’armes vers des pays en guerre...

Mais comment ne pas comprendre, que les populations des pays malmenés par les guerres – justement – ou éprouvées par des catastrophes naturelles engendrées par le réchauffement climatique,... ou tout simplement pauvres ...vont déborder dans les pays prospères – dont le nôtre – pays qui de surcroît ont besoin de jeunesse et de force de travail?
Aucun mur, aucune frontière ne pourra empêcher le phénomène, car la migration a toujours existé ! Et ce, pour toutes sortes de raisons : climatique, économique, politique, etc.  La migration est un phénomène qui appartient à l’essence même de l’humanité...
Les textes bibliques entendus ce matin nous le disent : ils nous parlent de migrants, d’étrangers, de frontières ... d’accueil ou de réaction de refus... Ils nous disent aussi la proche parenté entre la condition du migrant et celle du croyant, du chrétien ...

Le chrétien est un migrant !

Le chrétien est fils d’Abraham, qui était un migrant vivant sous la tente, dans la précarité du statut d’étranger... C’est au travers de cette expérience qu’Abraham a découvert que le pays promis était moins la terre de Canaan – ou aujourd’hui de Palestine - que la cité céleste vers laquelle nous marchons par la foi et pleins d’espérance. Les Israélites ne font-ils pas de cette expérience un des fondements de la foi : « Mon père était un Araméen errant ... » (Deutéronome 26) ?
C’est en se souvenant de sa condition de migrant que le croyant devient citoyen du Royaume de Dieu !
Se reconnaître étranger et de passage sur cette terre, c’est découvrir que même propriétaire ou citoyen d’un pays, je reste un locataire au même titre que celui qui vient frapper à ma porte...
Se reconnaître citoyen des cieux autant que du pays où je suis né c’est être conduit parfois à obéir à une loi supérieure comme l’a exprimé le pasteur évangélique neuchâtelois Norbert Valley : “Comme chrétien les principes de l’amour de Dieu pour mon prochain conduisent ma manière de vivre” !
Et ces principes ... sont déjà écrits en lettre grasse dans le Lévitique : « tu aimeras l’étranger comme toi-même ! » Le lévitique ne dit pas que ce dernier doit adopter les us et coutumes du pays ni qu’il doit adopter la religion de celui à qui s’adresse la parole de Dieu ! Il y a tout dans cette loi du Lévitique d’un impératif catégorique ! Et je vous avoue que je dois moi-même me laisser ici déranger par ce texte... parce qu’en moi comme chez beaucoup de mes concitoyens, il y a des résistances... Et je vous avoue que, ne serait-ce que pour vous faire plaisir, j’aimerais aménager la parole biblique, la rendre plus modulable, moins abrupte, plus acceptable...
Il y a quelques jours, en visite à Genève, Mgr Felix Gmür, évêque de Bâle, a fermement défendu l’engagement des Eglises en faveur de l’accueil de l’Etranger. Pour le nouveau président des évêques suisses “Le Christ ne nous dit pas: “J’étais étranger et vous avez créé des groupes de discussion, vous avez fait des propositions de lois, des arrêtés et des ordonnances puis enfin vous avez avancé des pistes de mise en oeuvre”. Il nous dit simplement : “J’étais étranger et vous m’avez accueilli” ! Le Christ s’identifie à ceux et celles qui sont dans le besoin. Les actions que Jésus nous demande d’accomplir sont très concrètes. L’Evangile est clair et limpide... c’est nous qui le rendons inaccessible et confus ajoutait l’évêque !
Et c’est bien là le problème quand on est soudain confronté à la réalité d’une situation.  Jésus lui-même semble avoir eu quelques hésitations...
Face à la femme étrangère qui vient le déranger dans sa retraite loin des foules et d’un travail harassant, il semble d’abord buté et arrogant ! « Il n’est pas bien de prendre le pain des Suisses et de le jeter aux étrangers ! » euh... non ! Jésus dit, - et c’est bien pire : « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux chiens ! » Une telle phrase en Suisse pourrait conduire son auteur devant un juge à tout le moins ! Mais - et Jésus ne devait pas l’ignorer - le texte du Lévitique suffirait déjà à le condamner...
Alors que penser de Jésus ? Prise au premier degré, la dureté de Jésus est extrême, et jure avec tout ce qu’il est, ou dit par ailleurs...
Pense-t-il vraiment ce qu’il dit ? Veut-il faire plaisir à ses adversaires qui comme d’habitude l’attendent au contour pour pouvoir le condamner ? Bien sûr toutes sortes d’interprétations ont été données de ce récit si surprenant... où Jésus semble partager ouvertement le rejet que beaucoup, même parmi ses disciples pouvait ressentir... « Ah celle-là elle nous énerve! En plus elle n’est même pas de chez nous !»

Pour moi – et je l’aime ainsi - Jésus est un génie de la provocation ! Je crois qu’Il utilise une stratégie pédagogique qui fait de lui vraiment le maître réussissant d’une pierre au moins trois coups...
d’une part 1. il va révéler la foi incroyable dont est capable une femme païenne et étrangère (on ne sait pas ce qui est le plus grave aux yeux des héritiers de la foi d’Israël !)
d’autre part 2. il embarrasse ses adversaires : voyez j’ai joué votre jeu, je voulais afficher ma préférence nationale, religieusement et politiquement et voilà ce qui arrive... une femme païenne étrangère vous surclasse de la tête et des épaules !
et enfin 3. il fait de la terre entière une terre de Mission ! ce n’est plus en Israël et seulement pour lui que se trouvent la foi, l’espérance et l’amour... annoncé et révélé par le Christ !

La maîtrise du Christ parfaite: il sait ce qu’il fait, ce qu’il dit, où il va, et embarrasse invariablement ses adversaires aussi bien que ses disciples, incapables de le comprendre; il sait ce pensent ceux qui s’approchent de lui, il lit dans les coeurs; il n'est jamais pris au dépourvu, il a la réponse admirable et une autorité inouïe. Homme ou femme, juif ou non juive, natif ou étrangère, ... ces mots n’ont guère de sens pour lui... comme aujourd’hui ceux de Suisse et d’étranger... de chrétien ou de musulman...
Et ils ne devraient pas en avoir pour les chrétiens de Suisse non plus... appelés, en ce jour du Jeûne fédéral, à avoir la capacité de s’ouvrir et l’intelligence pour trouver des solutions... ou dit autrement à avoir la force d’aimer et le courage d’agir...

La force d’aimer et le courage d’agir... comme l’a fait, sa vie durant, Ernest Sieber, le pasteur des pauvres en ville de Zürich, une grande figure de notre pays décédé en mai de cette année à l’âge de 91 ans.
Dans un article du journal Le Temps, un journaliste commentant l’action de cet homme, ancien Conseiller national, (de 1991 à 1994) qui a créé des communautés thérapeutiques, des foyers pour sans-logis et des centres de rencontre dans quatre cantons de Suisse alémanique, employant plus de 200 collaborateurs disait ceci:  « pauvres, sans-abri, toxicos, immigrés à la rue, requérants refoulés, marginaux de toutes sortes, la prise en compte des droits de ces personnes reste toujours un défi et un casse-tête pour les municipalités. Comment tenir compte des besoins de la population, de ses craintes face à l’insécurité ou aux troubles de tous ordres, et en même temps du droit des sans-abri, toxicodépendants, Roms, migrants, requérants déboutés ou non à exister en marge et à faire respecter leur dignité d’êtres humains?
Ernst Sieber répondait par les valeurs de l’Evangile ».
Et le journaliste terminait en disant : « Cela risque d’être un peu court dans la société des individus qui est celle du XXIe siècle ».
Et bien Non ! Ce journaliste, qui par ailleurs a si bien vu la force de création et d’innovation que possédait Ernest Sieber, se trompe !
Je crois que l’Evangile peut encore aujourd’hui nous donner la capacité de répondre aux défis de ce temps comme il l’a fait depuis 2000 ans...
Je crois que l’Evangile est encore aujourd’hui un ferment, une force de transformation pour notre monde.
Je crois que l’Evangile nous rends ouverts, courageux et actifs !
Et je prie pour que les chrétiens de ce pays portent haut les couleurs de cet Evangile, l’Evangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur ! Amen

Marc Horisberger, 16 septembre 2018 Parc du Vieux-Clarens