Voilà plus d’un an que je suis rentré du congé sabbatique plus dépaysant que reposant que j’ai eu la chance de pouvoir prendre dans un moment où le besoin d’une coupure dans mon ministère se faisait toujours plus sentir. Mais à quelque part je suis toujours au Japon où j’ai passé cinq mois. Profitant d’une offre de la Formation continue des Ministres, je me suis inscrit au programme « Sabbatical in Japan », plus exactement au Programme ISJP (Interreligious Studies in Japan Program) du NCC-Study Center Centre pour l’Etude des religions japonaises) à Kyoto, dans l’ancienne capitale millénaire du Japon. Ce centre est dépendant du « National Christian Council in Japan » (NCC-J) fondé en 1948 qui regroupe une grande partie des églises protestantes du Japon. Le « sabbatical » quant à lui était mis sur pied conjointement par le NCC-J et la Mission EMS (Evangelische Mission in Solidarität) Stuttgart, dont Mission 21 Basel (Evangelisches Missionswerk Basel) est partenaire.
Je suis parti avec une organisation allemande ouverte aux étudiants en théologie et aux ministres en congé sabbatique. A l’arrivée, notre groupe comptait trois jeunes et trois quinquagénaires de cinq nationalités différentes. Une sacrée équipe avec laquelle j’ai pu découvrir d’innombrables endroits du Japon du Tōhoku (Ishinomaki, Fukushima) à Kyushu (Kagoshima, Nagasaki) au sud, en passant par Nasu, Nikko, Tokyo, Kamakura, Ise, Nara et Hiroshima. Des visites où la découverte des lieux a été le plus souvent couplée avec des rencontres sur le terrain de communautés religieuses et de leurs représentants sous la conduite des professeurs du NCC. J’ai encore pu retrouver des amis Japonais rencontrés en Europe qui m’ont donné l’occasion de rencontrer des chrétiens de diverses communautés chrétiennes au Japon mais aussi en Corée et à Singapour, pays qui se trouvaient sur le chemin de l’aller et du retour. Ce séjour a aussi été l’occasion de passer les fêtes de fin d’année avec une partie de ma famille venu me rejoindre à Kyoto dans la grande maison qui avait été mise à ma disposition par la East Asia Mission à Kyoto.
Le Japon est un archipel qui compte 6800 îles : impossible d’en faire le tour même en 6 mois. De la même manière, je n’ai pu qu’approcher les 1001 visages de ce pays mystérieux et pourtant si proche de nous par sa modernité à commencer par sa langue et ses quatre systèmes d’écriture, ses innombrables religions
Lors de mon entretien avec la Commission des congés sabbatiques, un de ses membres m’avait lancé un défi : toi qui aime la photo, ramène-nous un petit bouquin avec une photo par jour…
Cela reste un projet que j’ai bien envie de mener à terme, le temps de trier parmi mes 27'500 photos les 183 qui me paraissent pouvoir au mieux exprimer la richesse de cette expérience. Pour le moment cinq conférences clés-en-mains sont sorties de ce congé sabbatique qui résument assez bien en images et en commentaires, différents aspects de ma découverte des religions en Asie.
Cette conférence présente une approche de l’Asie au rythme du fameux train qui, parti de Moscou, nous fait découvrir la conquête de l’est, la rencontre entre le christianisme et les religions de l’Orient parmi lesquelles, le chamanisme, le bouddhisme thibéto-mongol et les religions chinoises. Des religions combattues indistinctement par l’idéologie communiste et athée.
Le bouddhisme mahayana arrivé au Japon au 5e siècle se mêle un peu plus à chaque étape avec les croyances locales. C’est paradoxalement à cette religion étrangère que le Japon doit l’expression « Le Japon est le pays des dieux » que l’on trouve dans l’édit antichrétien de Hideyoshi Toyotomi en 1587 qui demande aux missionnaires catholiques de quitter le pays. Attestée sous la plume de nombreux moines bouddhistes avant d’être reprise par le shintoïsme d’Etat, la religion officielle du Japon, cette expression traduit sans doute assez bien le sentiment que l’on a lorsque l’on entre au Japon. La religion au Japon est partout visible. Que ce soit au travers des grands torii ou des modestes autels, des grands bouddhas ou des innombrables Jizô, des vénérables temples ou des montagnes, des sources, des arbres ou des pierres. Mais c’est le bouddhisme, une religion étrangère venue de Chine via la Corée qui va structurer et comme faire naître les grandes religions japonaises. Un bouddhisme aux formes multiples qui ne cesse de se ramifier et de se combiner aux autres formes de croyances pour autant qu’elles ne prétendent ni à l’universalité ni à l’exclusivité. Un temps séduit par le christianisme à l’arrivée de Saint François Xavier en 1549, les autorités japonaises, sous l’influence des moines bouddhistes vont se retourner contre cette religion exclusiviste incapable de se combiner avec les croyances locales.
Cela finira par l’expulsion des missionnaires, la persécution de ceux qui ne se soumettront pas et la fermeture pour plus de deux siècles du Japon à toute présence étrangère sur son sol. Aujourd’hui les chrétiens ne représentent qu’un pour cent de la population du Japon, toutes confessions confondues.
Le Shintô est la grande religion « nationale » du Japon. Le mot d’origine sino-japonaise Shin-tao (en japonais : Kami no michi) signifie « la voie qui mène au divin ». Cette religion nous paraît bien mystérieuse, mélange d’éléments animistes et polythéistes. On y vénère d’innombrables kami qui peuvent être aussi bien des divinités que des esprits comme ceux des ancêtres par exemples. Elle a offert la base d’une mythologie, soutien d’un Japon impérial conquérant. Mais le shintoïsme d'État, l'idéologie promue par le gouvernement japonais depuis le début de l'ère Meiji (1863) jusqu'à sa défaite à l'issue de la Seconde Guerre mondiale est une construction moderne dissoute en partie après la défaite militaire de 1945. A la fois fascinant et inquiétant, le shintô est considéré aujourd’hui par un grand nombre de japonais plus comme une culture ou une tradition proche du folklore que comme une religion.
On ne peut arriver au Japon sans penser aux deux villes martyres d’Hisroshima et de Nagasaki. En visite au mois de mai 2016, le président Obama à appelé à «ne pas répéter les erreurs du passé » mais aucune excuse n’a été présentée. Au grand soulagement du premier ministre japonais Shinzo Abe qui en décembre de la même année à Pearl Harbour n’a pas eu non plus à le faire.S’il bénéficie aujourd’hui de la constitution la plus pacifique au monde, imposée par les Américains, le Japon reste hanté par les figures sombres d’un passé où la guerre a été son pain quotidien. Menacé à plusieurs reprises d’être envahi il s’est mué en conquérant féroce imitant et égalant dans l’horreur les puissances occidentales qu’il pensait imiter.
J’ai visité les deux villes victimes de la bombe qui aujourd’hui sont le fer de lance d’une politique de désarmement nucléaire mondial, mais aussi le fameux Temple shintô Yasakuni à Tokyo où l’on a divinisé plus de deux millions et demi de soldats morts pour l’empereur parmi lesquels un certain nombre de criminels de guerre.J’ai vu dans le musée attenant au sanctuaire une collection de portraits de soldats « morts pour la Patrie » mais aussi dans le modeste Women active museum on war and peace une collection de portraits de femmes de réconfort, dont les vies ont été broyées par les soldats-violeurs d’un empereur dont les responsabilités ont toujours été éludées. Les peuples d’Asie restent encore dans l’attente d’excuses pour les infinies souffrances infligées par les troupes japonaises dans toute l’Asie. Mais elles semblent si difficiles à sortir de la bouche des gouvernants car …les dieux ne s’excusent jamais! De son côté, l’Eglise du Christ au Japon a officiellement reconnu sa responsabilité et publiquement demandé pardon pour les fautes commises. Les chrétiens sont aujourd’hui très engagés dans ce combat pour la justice, la paix et la réconciliation et à ce titre dans le dialogue interreligieux.
Thaïlande, Cambodge, Malaisie et Singapour. Quatre pays marqués par l’histoire où se mélangent des traditions religieuses diverses. Là se croisent le bouddhisme dans sa version Hinayana, l’islam, le christianisme et les religions chinoises (taoïsme, confucianisme). Un petit laboratoire pour celui qui revenant du Japon s’est initié à une théologie en dialogue, où l’approche historique nous montre que les idées, y compris au plan religieux, ont voyagé aussi sûrement que les marchandises. Sous la conduite d’un de mes camarades du ISJP-Program, j’ai pu également découvrir quelques églises et collèges de Singapour ainsi que la cité de Malacca en Malaisie où Anjiro, futur compagnon de Saint François Xavier, fut le premier Japonais à se convertir à la foi chrétienne