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Psaume 40 J’ai attendu le Seigneur

Psaume dialogué en préparation

Symphonie de Psaumes
Les psaumes 39: 13-14, 40: 1-2 et 150 (40, 41 et 150)
par Igor Strawinsky

http://www.youtube.com/watch?v=Nhk96KX6I6I

Igor Stravinsky
(1882-1971) Symphonie de Psaumes 
Les leçons de ténèbres orthodoxes 
   

La Symphonie de Psaumes, une des œuvres majeures du grand ensorceleur russe, est faite d'ombres secrètes contenues, de nuits ivres de mysticisme aussi et d'une désespérance froide envers l'humanité. Comment cette pierre froide, tombée comme un météore, s'inscrit-elle dans les chemins cahotants de ce grand maître, plutôt homme du sacre du paradoxe que du sacre du printemps ? L'homme mondain est aussi un homme de piété, certainement la part la plus authentique de lui-même.

De la même façon que l'on ne peut lire Brahms sans le décrypter au travers de son protestantisme profond, on ne peut connaître Stravinsky sans admettre que ce compositeur qui refusait toute orthodoxie musicale, était chevillé de façon pathétique et anachronique à la foi orthodoxe.
Cet homme, traversé de tant de contradictions, avide d'expérience et de prestige, puits de forces adverses d'attractions, d'imagination, est resté humblement croyant, malgré des doutes et des reniements. Le personnage Stravinsky est le personnage musical du XXe siècle.

« La symphonie de psaumes fut à l’origine du à la commande d'un éditeur qui me suggéra, par routine, « d'écrire quelque chose de populaire ». Je pris ce mot non dans le sens sous-entendu par l'éditeur de « s'adapter à la compréhension populaire », mais dans celui de créer « quelque chose d'universellement admiré ». Je choisis donc le psaume 150 en partie pour sa popularité, mais ainsi pour une autre raison convaincante : mon désir de réagir contre les nombreux compositeurs qui s'étaient servis de ces vers monumentaux pour exprimer leur propre sensibilité lyrico- sentimentale. Les psaumes sont des poèmes d'exaltation mais aussi de colère, de jugement et même de malédiction ».

Pour éclairer un peu plus ce que Stravinsky dit éloquemment, il faut savoir qu'il était adorateur des cantates de Bach et connaisseur intime de la tradition russe. Extrêmement sensible au rapport entre le texte chanté, sa langue propre et la musique, il était fasciné par la langue latine. « L'église ne sait que ce que sait le Psalmiste: la musique chante la gloire de Dieu et la musique le loue aussi bien ou mieux qu'une église et sa décoration ».

«La musique religieuse sans religion est presque toujours vulgaire et il faut être croyant pour composer cela et pas seulement croire au sens symbolique, mais à la personne du Seigneur; à la personne du Diable et aux miracles de l'Eglise ». Là aussi c'est Stravinsky qui parle et qui savait que pour une œuvre vers Dieu ou qui que ce soit, tienne debout, il fallait renoncer à l'excès de haine et de passion.

La meilleure illustration est cette œuvre chorale avec orchestre. Composée entre Janvier et Août 1930 à Nice puis en Suisse, elle est le fruit de la commande lancée par Serge Koussevitzki, à l'occasion du 50ème anniversaire de son orchestre, l'orchestre de Boston. Elle fut créée par Ansermet le 13 Décembre 1930 à Bruxelles, puis elle revint à ses dédicataires. A la première page de la partition figure une double dédicace: «A la gloire de Dieu et au Boston Symphony Orchestra, à l'occasion de son 50ème anniversaire».
 
Pourquoi une symphonie ? Stravinsky a écrit des symphonies (pour instruments à vent, en ut, en trois mouvements) mais à chaque fois, c'est tout autre chose qu'une symphonie au sens classique. Certes, il y a à peu près les dimensions (une vingtaine de minutes de musique), l'apparence organique (trois mouvements) mais c'est tout autre chose.
Ce n'est pas l'église au théâtre, c'est un souffle soutenu par l'orchestre.

Les textes choisis dans la Vulgate sont respectivement les versets 13 et 14 du psaume 38 (39) pour le premier mouvement, les versets 2, 3 et 4 du psaume 39 (40) pour le deuxième mouvement et tout le psaume 150 pour le couronnement de l'œuvre, le dernier mouvement.


Symphonie de Psaumes 

I - Exaudi orationem meurt
2- Expectaus expectavi dominant
3 - Laudate Dominum

  - 1er mouvement : Écoute ma prière Cette courte introduction est en fait un prélude où le chœur se fait humble, émergeant du silence entre les arpèges de l'orchestre et ces curieux accords qui passent des hautbois aux bassons puis au piano.
« Laisse-moi respirer avant que je ne m'en aille et que je ne sois plus ».
Stravinsky donne l'écho de cette ultime respiration, par une sorte de buée musicale.   - 2e mouvement : J'avais mis en l'Éternel mon espérance La durée s'allonge (presque six minutes) pour une forme fuguée et les voix n'entreront qu'après un jeu sonore entre les bois (hautbois, flûtes) et le chœur apparaît sur une autre musique et voix après voix.
L'ombre de Bach passe dans cette double fugue, mais cette louange devient complexe pour, avec dévotion, aller vers le silence.
La conclusion est saisissante, car brusquement fortissimo pour dire la crainte devant l'Éternel.   - 3e mouvement Alleluia, Louez l'Éternel En suivant le tempo de Stravinsky, on obtient onze minutes parmi les plus étonnantes de la musique religieuse occidentale.
Là et là seulement sont convoqués les échos sonores des chants de l'église orthodoxe.
Parti d'une introduction grave, presque gelée, le morceau se termine, marqué au fer rouge de la ferveur religieuse. De nombreuses reprises indiquent qu'il n'y a plus de temps et cette louange ne chuchote plus les ombres, elle proclame en répétant sans trêve le « Laudate », le triomphe sur le silence. Quelques ultimes pistes pour recevoir cette œuvre étrange : « Alors que certains veulent se faire un nom, d'autres se battent pour se faire un non ». (Georges Perros).
Dans cette musique, Stravinsky dit non à l'inessentiel et entreprend un véritable voyage intérieur et cette cathédrale de sons s'élève au-dessus des messes minuscules et de l'argile des jours.
Un chant inquiet monte du chœur semblant implorer pour Stravinsky cette propre prière : « Priez pour moi ». La Symphonie de Psaumes est une musique sombre, une musique d'ombres, de lèvres qui remuent vers Dieu, un jugement dernier à peine murmuré.
Un jour et c'est bientôt, Stravinsky nous le dit, nous serons devant la fin des temps.
La Symphonie des Psaumes s'élève comme une chanson noire et ancienne pour nous parler autant de notre fragilité que d'éternité.
Déjà vers la fin, en l'écoutant, l'auditeur se trouve dans un temps où les choses ont déjà cessé d'être, même si elles restent apparemment proches. Stravinsky a érigé une stèle compatissante où la musique se fait attente, familière, mais déjà presque étrangère et inintelligible.
L'hiver du monde nous sépare déjà de ces voix qui s'élèvent seules vers l'ailleurs. Toujours à l'écoute de cette œuvre, un sentiment d'adieu plus que de Dieu semble naître. Cette œuvre s'achève solennellement et la nuit revient.
Stravinsky ajoutera cette dernière conclusion :On espère adorer Dieu avec un petit peu d'art si on en a. Stravinsky aura eu ce peu d'art et bien plus encore.

sources http://www.espritsnomades.com/mentionslegales.html

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