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Psaume 144 (143) Je veux te célébrer sur la harpe à dix cordes
Un psaume messianique pour le temps de l'Avent

Béni soit le Seigneur, il est mon Rocher,     
     Il exerce mes mains pour ma libération
Il prépare au combat mes doigts d’archer     
     Il est mon assurance et ma protection  

Pourtant, Seigneur, qu'est-ce que l’être humain     
     Pour que tu t’intéresses à sa vie fugace ?
L'homme n'est qu'un souffle sans lendemain     
     Sa vie, rien d’autre qu'une ombre qui passe.  

Seigneur, incline ton ciel vers nous et descends !     
     Touche les montagnes et qu’elles fument !
Lance tes éclairs et libère-moi des méchants !    
     Arrache-moi aux flots des barbares qui écument.  

Ô Dieu, je veux chanter pour toi un chant nouveau,     
     Je veux te célébrer sur la harpe à dix cordes :
Contre le roi que Dieu soutient, rien ne prévaut,
     Il sauve son serviteur David de l’épée des hordes.
 
Que nos fils soient comme des plantes
     Qui ont poussé tout droit dès leur naissance !
Que nos filles soient aussi ravissantes     
     Que les colonnes sculptées des résidences!  

Que nos greniers regorgent de provisions     
     Que le bétail prospère dans les campagnes
Que nous soient épargnés la guerre et l'invasion     
     Et les cris déchirants qui les accompagnent.    
 
Sur la harpe à dix cordes je veux faire résonner     
     Le chant nouveau qui habite mon cœur :
Heureux le peuple à qui tout cela est donné,     
     Heureux le peuple qui a pour Dieu le Seigneur !

Une petite contribution dédiée à Christiane Rupp, harpiste, concertiste, thérapeute

Commentaire

Vitrail d'Ernest Biéler Eglise Saint Martin Vevey
Je te célébrerai sur la harpe à dix cordes

Commentaire du psaume
Le psaume 144 est un psaume messianique au milieu duquel trône la figure de David. L'hymne s'ouvre par une bénédiction - Béni soit mon Rocher ! – qui fait de Dieu une Forteresse, élément stable au milieu d’un monde bouleversé et un Sauveur qui entraîne le fidèle au combat.

La vie de David est – comme celle de tout un chacun peut-être -  tout entière balancée entre ce désir de stabilité, de paix et d’harmonie et une vie de combat où il doit faire face à l’hostilité de nombreux ennemis : les Philistins, Goliath, son propre roi Saül et ses sbires. Plus tard ses ennemis auront pour nom ceux d’autres royaumes voisins : Moab, Ammon, Edom… et ceux de ses propres enfants (Absalom). Mais le plus grand ennemi à vaincre n’est-il pas intérieur ? Le plus grand combat à mener n’est-ce pas ce combat de tous les jours contre soi-même ? David en fera la cruelle expérience lorsqu’il cédera à ses désirs qui le mèneront jusqu’au meurtre d’Urie le premier époux de Bath Schéba.

Devant le Seigneur tout-puissant, malgré sa dignité royale, David se sait et se sent faible et fragile. Il prononce alors une profession d'humilité qui est formulée en reprenant les mots des Psaumes 8 et 38. En effet, il sent qu'il est "comme un souffle", semblable à une ombre passagère, frêle et inconsistant, plongé dans le flux du temps qui passe, marqué par la limite propre à la créature.

C’est dans ce contexte qu’il faut entendre le cri du v. 5 « Seigneur abaisse, incline, courbe ton ciel et descends » qui fait du psaume 144 un véritable psaume de l’Avent ! Dans un premier temps, c’est un cortège d'éléments cosmiques et d'événements historiques, qui célèbrent la grandeur du Roi suprême de l'être, de l'univers et de l'histoire.

Mais dans un deuxième temps, c’est la douce musique de la harpe à dix cordes qui met en scène un autre type de roi un autre type de Messie… Le cantique nouveau c’est le chant de l’amour et le Roi David en devient le chantre. Lui qui a connu la violence des éléments et de l’histoire va entraîner le peuple qui l’écoute vers l’horizon d’un Royaume où la guerre, la violence, la haine et le meurtre seront bannis.

Le Messie
Le Temps de l’Avent et de Noël nous offre une bonne occasion de réfléchir au vocabulaire de base de la foi chrétienne. Ces mots qui résonnent dans nos chants et dans nos liturgies et qui comme beaucoup d’autres ont passé dans le «domaine public» avec plus ou moins de bonheur.  
Ainsi en va-t-il du mot "Messie". Du fait de sa traduction en grec par le mot «Christ», ce mot est associé dès l’origine de l’histoire de l’Eglise à celui de Jésus de Nazareth.  
Mon propos n’est pas de discuter l’idée même de l’association (controversée) entre les mots Jésus et Messie. Car on le sait bien, si l’islam et le coran affirment onze fois que Jésus est le Messie, il n’en va pas de même pour le judaïsme.
 Et dans l’une comme dans l’autre des traditions, le terme même et la réalité qu’il recouvre sont interprétés de façons diverses.  
L’idée est plutôt de se demander que signifie pour nous, chrétiens occidentaux du 21e siècle, ce mot si important de la foi. Comment le recevons-nous, qu’elle influence a-t-il sur notre image de Jésus et notre relation à l’enfant qui naît à Bethléem ?  
En faisant un peu d’étymologie, on peut dire que le terme Mashia'h (משיח) provient de la racine משח, signifiant «oindre ». Avec quoi, huile d’olive, huile parfumée, parfum…  sous quelle forme… quelques gouttes sur le front, une pleine corne de bélier ou même un bain à l’image du baptême…  je crois qu’il faut laisser la question aux spécialistes.
Par contre l’association avec l’Esprit, qui pénètre l’être intérieur et le fortifie comme l’huile pénètre le corps aux travers des pores de la peau me semble primordiale. L’huile fait briller le corps, l’Esprit fait briller la personne qui reçoit l’onction.   
Le Messie est donc quelqu’un qui a reçu l’onction d’huile. Mais qui peut être mis au bénéfice de ce titre ? En faisant un peu de recherche dans la Bible hébraïque, on découvre que le concept même de Messie n’est ni commun, ni unifié.  
La première occurrence du mot se trouve dans le Livre de l'Exode «Tu prendras l'huile d'onction, tu en répandras sur sa tête, et tu l'oindras. » Exode 29.7. On découvre là que l’onction vaut en tout premier lieu pour le Prêtre.  
Une deuxième façon (majoritairement retenue dans la tradition juive) de comprendre la figure du Messie est celle qui voit en lui un roi puissant investit d'une mission divine. L’onction de David par Samuel, le même prophète qui avait oint Saül, le premier roi d’Israël, fait de lui la figure du Messie. Le Messie est un Roi qui sauve, qui délivre, qui repousse les frontières de son Etat et assure à son peuple la sécurité. Mais cette manière de comprendre la figure du Messie prend fin en 587 avec la destruction de Jérusalem par les armées du roi de Babylone. Dans la pensée d’Israël le Messie peut alors même être un roi étranger favorable à Israël. Ainsi, Cyrus le Grand, roi de Perse (559 à 529 av. J.-C.), peut être considéré comme le Messie : « Ainsi parle le Seigneur à son oint, à Cyrus… (Esaïe 45 :1)».  
La troisième acception du mot Messie est celle de Prophète. Elie reçoit l’ordre de conférer l’onction à son successeur Elisée (1 Rois 19 :16). Le troisième Esaïe lui-même se déclare Oint-Messie : «L'Esprit du Seigneur est sur moi, Car le Seigneur m'a oint pour porter de bonnes nouvelles aux malheureux» (Esaïe 61 :1)   
 D’autres textes (Esaïe 53) peuvent faire naître l’idée d’un autre type de Messie. Non pas un roi tout-puissant, mais un Messie-Serviteur souffrant… apportant au monde par ses souffrances, la réconciliation et la paix.  
On trouve dans le Talmud déjà cette double conception d’un Messie régnant et d’un Messie souffrant. Et la figure elle-même du Messie varie à travers les âges entre les diverses tendances du judaïsme.  
Dans la foi chrétienne, il en va de même. Même si dès l’origine, les chrétiens ont reconnu en la personne de Jésus, le Christ, mot grec signifiant « Oint » qui est une traduction littérale et « autorisée » (puisqu’issue de la Septante, la traduction grecque faite par des rabbins d’Alexandrie vers 270 av. J.-C) le terme n’est pas compris de façon unanime.
De plus le terme hébreu n'apparaît que deux fois dans le Nouveau Testament comme si il fallait éviter de réveiller un messianisme juif couvant sous la braise. 
Jésus ne veut pas -ou ne devait pas- être confondu avec un Messie « politique » ni avec un personnage de la fin des temps. 
Dans l'Évangile de Jean (le plus tardif et peut-être le plus grec des Evangiles) le terme hébreu Messie apparaît deux fois : en 1:41 « Nous avons rencontré le Messie ! » et en 4:25 où une femme de Samarie parle du Messie qui doit venir sur quoi Jésus répond : « Je le suis moi qui te parle ».  
Entre ceux qui voient en Jésus un Messie glorieux établissant le règne de Dieu sur terre et ceux qui le voient en Messie souffrant il y a toute la tension entre deux compréhensions fondamentales du mot Messie et peut-être au-delà de la Religion elle-même.

Le psaume 144, psaume messianique par excellence semble partager cette tension. La première moitié du psaume évoque bien la puissance du Seigneur protecteur de David, mais la seconde évoque un roi qui exerce ses doigts non plus au maniement des armes de guerres mais au toucher des cordes de la harpe. Loin des trompettes et des tambours, la harpe à dix cordes évoque la Loi et ses dix commandements.
La Loi et les dix commandements que l’on trouve précisés dans l’Evangile dans le double commandement de l’amour : «Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force, et de toute ta pensée; et ton prochain comme toi-même.» (Luc 10 :27). Pour Jésus le sens de la Loi se trouve résumé dans ce « chant de l’amour ». Saint Augustin dans son « Commentaire sur les psaumes » le fait déjà comprendre.
Le psaume 144 (143 dans son commentaire) est « messianique » en ce sens qu’il annonce en Jésus, un chant nouveau, un homme nouveau, un monde nouveau. « Seigneur, je vous chanterai un cantique nouveau ». Ce cantique nouveau, c’est le chant de l’action de grâces; le cantique nouveau est celui de l’homme nouveau; le cantique nouveau, c’est le cantique du Nouveau Testament… Et de peur qu’on ne croie que la grâce diffère de la loi, tandis au contraire que c’est par la grâce que la loi s’accomplit: « Je vous chanterai », dit-il, « sur le psaltérion à dix cordes»… ou par les dix préceptes de la loi. C’est ainsi que je vous chanterai: puissé-je trouver en vous ma joie, puissé-je vous chanter dans la loi, ce nouveau cantique; « parce que la charité est la plénitude de la loi 3 ». Du reste, quiconque n’a point la charité, peut porter le psaltérion; mais il ne saurait chanter. Pour moi donc, dit l’interlocuteur, au milieu des eaux de la contradiction, je vous chanterai un cantique nouveau: et jamais le bruit des eaux de la contradiction ne fera taire mon psaltérion: « Je vous chanterai sur le psaltérion à dix cordes ».
 
Ainsi le psaume 144 est sans aucun doute un « psaume messianique » au milieu duquel trône la figure de David, mais la figure lumineuse et glorieuse du Messie ne tient pas aux victoires politiques ou militaire du deuxième roi d’Israël mais bien à sa capacité d’entraîner le peuple sur le chemin de la foi, de l’amour et de l’espérance.

David la figure du Messie

Plat de reliure du Psautier de Dagulf  vers 783-795 Ivoire, 168 x 81 mm Paris, Louvre

En haut à gauche:
David choisit ses secrétaires

En bas à gauche:David joue de la harpe

En haut à droite: David envoie une ambassade à saint-Jérôme

En bas à droite: David dicte les psaumes